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Eau et assainissement : Samandollé ou les oubliés des OMD

lundi 29 juin 2015


Le Burkina Faso s’est engagé, dans le cadre des objectifs du millénaire pour le développement (OMD), à réduire de moitié la proportion des personnes n’ayant pas accès à l’eau potable et à l’assainissement, à l’horizon 2015. Depuis, tous les efforts se sont focalisés sur ces objectifs, même s’ils ne seront pas atteints, en ignorant totalement l’autre moitié abandonnée à son funeste sort…

Samandollé. Un hameau de culture perdu dans le sahel burkinabé, à une dizaine de kilomètres de la commune rurale d’Aribinda. La ceinture d’épineux et la multitude de collines qui l’entourent, le soustraient au regard du voyageur empruntant la route départementale reliant Dori à Djibo. A l’abri derrière ce rideau inhospitalier, les 500 âmes qui y vivent sont en marge du monde moderne. A Samandollé, rien n’a changé depuis des âges. Dans ce village hors du temps, on n’y rencontre aucun symbole de la république. « Nous n’avons ni dispensaire, ni école, ni même un poste de Police… », déclare médusé, Ousséni Wouraba, un paysan. Mais de tous les services sociaux qui manquent, c’est l’absence de l’eau potable qui chagrine le plus le quinquagénaire. « Nous n’avons pas un seul forage dans le village. Pourtant, les besoins des hommes et des animaux sont importants. » Fait-il remarquer.

Confirmation avec Safoura Manzouba. Comme toutes les femmes du village, la jeune femme de 25 ans est responsable de ravitailler sa famille en eau. Deux fois par jour, elle se rend à la petite mare située à 300m du village pour y puiser une eau rougeâtre, au-dessus de laquelle flottent des excréments d’animaux. Il faut dire qu’à Samandollé depuis toujours, les hommes et les animaux ont appris à partager les maigres flaques d’eau. « C’est ici, dit Safoura, que nous puisons l’eau pour la boisson, la cuisine et la toilette ». « Avec le temps, nous ne faisons plus attention aux animaux qui y pataugent et y défèquent. Sans cette eau nous serions déjà morts sûrement », poursuit Safoura. Certes, l’eau de la mare sauve momentanément mais elle tue à petit feu. Tous les habitants de Samandollé souffrent d’une maladie d’origine hydrique. « Nous sommes tous malades à cause de l’eau. Les enfants souffrent de la bilharziose, du verre de Guinée et de maux de ventre toute l’année. Vraiment nous nous sentons totalement abandonnés par les autorités », lance Ousséni.

Autorités impuissantes

Du côté des autorités locales, on récuse la thèse de l’abandon. Elles préfèrent mettre en avant leur impuissance plutôt. « Vous savez, depuis que nous sommes responsables de la fourniture des services d’eau et d’assainissement, assure Yacouba Gouem, secrétaire général de la commune d’Aribinda, Samandollé est un vrai casse-tête pour la commune ». Administrativement rattaché à la commune rurale d’Aribinda, Samandollé n’est pourtant pas officiellement reconnu comme étant un village, encore moins comme un quartier. C’est un hameau de culture que l’administration considère comme faisant parti d’Aribinda. Du coup, impossible de lui attribuer des infrastructures (eau potable, santé, éducation…) provenant de la programmation de l’Etat. Samandollé est censé utiliser les infrastructures existantes à Aribinda, la ville située à plus d’une dizaine de kilomètres. Une pure aberration pour les populations. « Si je devais aller puiser l’eau à Aribinda, je passerais toute la journée et je ne pourrais pas rapporter suffisamment d’eau pour couvrir les besoins de ma famille », analyse Safoura.

En charge de fournir des services d’eau potable et d’assainissement à tous ses administrés, la commune a entrepris des démarches auprès de ses partenaires pour trouver une solution à la détresse des habitants de Samandollé. « Chaque fois que nous en avons l’occasion, nous faisons du plaidoyer auprès de nos partenaires en espérant que certains soient sensibles au malheur des populations de Samandollé en leur construisant un ouvrage moderne. Nous avons bon espoir que cela se concrétisera bientôt », déclare monsieur Gouem.

Politiques inopérantes

Si Samandollé et les zones non couvertes par les programmes gouvernementaux sont en détresse, la situation dans zones couvertes n’est guère reluisante. Les efforts fournis n’ont pas produit les résultats escomptés. Le pays a déjà intégré le fait qu’il n’atteindra pas les OMD dans le secteur de l’eau et de l’assainissement. Selon le rapport bilan de la mise en œuvre du programme national d’approvisionnement en eau potable et assainissement (PN-AEPA), le taux d’accès à l’eau en milieu rural était de 64% en 2014 tandis que la cible visée est de 76%. Plusieurs raisons expliquent cet échec. Les politiques et le dispositif d’approvisionnement en eau potable en milieu rural sont inopérants. Au début des années 2000, le Burkina Faso a adopté un nouveau cadre règlementaire de gestion des services publics d’eau potable en milieu rural et semi-urbain. Fortement inspiré des politiques de décentralisation et de communalisation intégrale, le cadre entérine le transfert de la maîtrise d’ouvrage en matière d’eau potable à la commune. La commune, sans ressources humaines et financières conséquentes, se retrouve du jour au lendemain responsable de la gestion, du développement, de l’organisation des acteurs, du financement et du suivi-évaluation des services d’eau potable sur son territoire. Une charge trop lourde pour les jeunes communes. « La décentralisation ne devrait pas être une astuce de l’Etat pour se débarrasser de ses responsabilités sur les communes », s’insurge Jean Bosco Bazié, Directeur général de l’ONG Eau Vive International.

Si les communes peuvent se sentir abandonnées par l’Etat, les associations des usagers de l’eau (AUE), mises en place dans chaque village pour assurer la fourniture de service dans les villages, doivent l’être davantage. En clair, les AUE doivent collecter des fonds auprès des usagers. Cet argent servira à réparer les forages en cas de pannes et à payer la contribution des usagers lors de l’implantation d’une nouvelle pompe. Minées par l’analphabétisme et une légitimité souvent mise en question par leurs membres, la quasi-totalité des AUE sont dans un état léthargique. Pas étonnant pour les spécialistes. « Il ne faut pas attendre des usagers ruraux ce qu’on ne demande pas aux citadins, avance Juste Nansi, directeur d’IRC Burkina. Pourquoi c’est aux usagers ruraux d’organiser le service alors que nous savons qu’ils ne possèdent pas les compétences pour le faire ? Cela ne peut marcher sans aide extérieure ».

Changer de fusil d’épaule

Face à tous ces dysfonctionnements, les professionnels du secteur demandent un profond changement dans les politiques. Réunis en février dernier, au cours du Forum national de l’eau et de l’assainissement, les participants se sont engagés à ce que « chaque burkinabè ait un accès permanent à l’eau potable et à l’assainissement d’ici à l’horizon 2030 ». Vœux pieux ou engagement réaliste ? Sans doute les deux. A l’étape actuelle il est présomptueux de croire que le pays atteindra l’accès universel en 15 ans. Les statistiques sont implacables. Seulement 9% des Burkinabé ont accès à des services d’assainissement adéquats malgré une relative augmentation. Ils étaient 3% en 2008 selon une enquête nationale. Concernant l’eau potable, l’objectif paraît plus abordable. 84% des urbains contre 64% des ruraux ont accès à l’eau potable. Mais ces chiffres sont à relativiser pour le milieu rural. Les questions de fonctionnement durable des équipements et les modalités de gestion pérennes sont encore en friche. « Quand on dit que 64% des populations rurales ont accès à l’eau c’est en mon sens exagéré car l’Etat suppose qu’un forage qui n’a pas connu une panne excédant 12 mois a fonctionné correctement toute l’année », affirme Juste Nansi, directeur d’IRC. Juste Nansi fonde son argumentaire sur les résultats d’une étude, menée par son ONG, dans 28 villages du Sahel sur les services effectivement reçus par les usagers. En combinant les critères nationaux sur la qualité de l’eau (normes OMS), la distance parcourue (moins d’un Km pour un forage), le nombre d’usagers utilisant la même pompe (300 personnes), quantité (20l/jour et par personne) et la durée de rupture de service (moins de 72h) ; l’IRC aboutit à la conclusion que seulement 1% des populations concernées avait accès à un niveau de service basique.

En guise de proposition, les professionnels exigent que l’Etat fasse du secteur de l’eau et de l’assainissement un secteur prioritaire. Cela permettra de mobiliser plus de fonds. « A ce jour seulement 2% du budget sont consacrés à l’eau tandis que 13% sont réservés à l’éducation », concède Mathieu Bingbouré, chargé de mission au ministère en charge de l’eau. « Nous faisons un plaidoyer dans les programmes post-OMD afin que l’Etat nous alloue de financements plus importants ce qui nous permettra aussi de recruter une ressource humaine suffisante », conclut-il. Pour les ONG, le financement endogène est primordial. Faute d’argent, le ministère a passé une dizaine d’années sans recruter de nouveaux agents. « Le secteur est financé en grande partie par des partenaires extérieures qui dictent leurs priorités qui ne sont pas toujours celles du pays », analyse Lamine Kouaté, un expert à la retraite. « Il faut que l’Etat se saisisse de la question car c’est avant tout une question de souveraineté nationale. Sans investissements massifs de l’Etat, les choses ne changeront pas », regrette Jean Bosco Bazié. Dans une déclaration faite en fin juin 2015, les organisations de la société civile exigent à ce que 10% du budget soit alloué au secteur.

En attendant un sursaut étatique, les habitants de Samandollé prient pour qu’une âme charitable leur vienne en aide avec un forage.

Nourou-Dhine Salouka