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Salif DIALLO, Président de l’Assemblée nationale : « Je suis prêt à lever mon immunité si un juge veut m’entendre » [ In, Le Reporter]

lundi 8 février 2016


Un animal politique ; un baroudeur né ; un homme travailleur, rigoureux ; un homme à la rancune tenace ; un faiseur de rois… les qualificatifs ne manquent pas pour désigner Salif Diallo, le nouveau président de l’Assemblée nationale. Depuis l’annonce de sa candidature à la députation, beaucoup n’ont pas hésité à conclure qu’il cherchait ainsi une couverture immunitaire pour se prémunir d’éventuelles poursuites judiciaires par rapport à certains dossiers dans lesquels son nom est cité. Mais que nenni, rétorque-t-il, tout en maintenant qu’il n’a absolument rien à se reprocher dans quelque dossier judiciaire que ce soit. Mais il ne s’arrête pas là. Selon lui, en dépit de son immunité, si jamais un juge veut l’entendre dans un dossier, il n’hésitera pas à lever lui-même son immunité et aller répondre audit juge. C’est un Salif Diallo visiblement confiant, serein et plein d’optimisme que nous avons rencontré, à son domicile de Ouaga 2000, au lendemain de son élection à la tête du Parlement burkinabè. C’était le mardi le 5 janvier 2016. Dans son franc-parler légendaire qu’on lui connaît, il assène ses « vérités » sur tous les sujets qu’on aborde avec lui. Sa supposée amitié et ses divergences avec Blaise Compaoré, sa supposée inimitié pour François Compaoré, ses relations avec Roch Marc Christian Kaboré et Simon Compaoré, le coup d’Etat de Gilbert Diendéré, ses ambitions à la tête du Parlement, l’affaire des écoutes impliquant Guillaume Soro et Djibrill Bassolé, tout y passe…Entretien.

Le Reporter : Comment se porte Salif Diallo ?

Salif Diallo : Comme tous les Burkinabè ! Je me porte bien. Je vis comme tous les Burkinabè. Voilà.

Vous êtes, depuis le 30 décembre 2015, élu président de l’Assemblée nationale du Burkina Faso. Est-ce le couronnement d’un plan personnel de retour aux affaires ?

Non, moi je n’ai pas bâti de plan personnel. Je défends des idées que d’autres personnes peuvent assumer. Ces idées ne sont pas collées à ma personne. Je suis comme tous les Burkinabè, donc j’ai formulé en son temps des propositions parce que je voyais venir la crise et je me suis dit qu’il fallait faire des propositions pour éviter au pays de connaître, à l’époque je l’avais dit, des troubles sociaux, voire la guerre civile. Je n’ai pas été suivi, ce qui devait arriver est arrivé.

Il y a plus d’un an, vous prévoyiez déjà, depuis votre fief de Ouahigouya, que Roch Marc Christian Kaboré serait le prochain président du Faso. Aujourd’hui, c’est fait. Est-ce que Salif Diallo se considère faiseur de rois, comme on le dit ?

Non, pas du tout, pas du tout. Ce n’est pas moi qui ai élu Roch Marc Christian président. C’est le peuple burkinabè qui l’a élu. Moi, en son temps, je n’ai fait qu’une analyse sociopolitique et j’ai dégagé les tendances d’avenir. Je savais que nous, en quittant le CDP, on aurait la plus grande base sociale et politique du pays. Et Roch Marc Christian Kaboré a été désigné comme président du MPP et potentiel candidat du parti. Donc, je me suis dit, avec les tendances d’évolution, je le voyais déjà président parce que la rupture avec Blaise Compaoré collait aux aspirations des populations. Il fallait organiser ces aspirations au changement et mettre en place un mécanisme pour faire de Roch le candidat et le peuple allait se coller à ses aspirations. C’est pourquoi je disais que Roch allait être le président en 2015. C’était juste une analyse des tendances d’évolution. Ce n’est pas de la prophétie, ce n’est pas de la provocation, c’est parti d’une simple analyse des tendances et des dispositions des forces sociales et politiques du pays.

Il reste que vous avez été son directeur de campagne…

Oui, là également, avant Roch Marc Christian, j’étais directeur de campagne de Blaise Compaoré en 2005. Et là aussi, à l’époque, le rapport de force donnait Blaise Compaoré gagnant. Mais ce rapport de force, il en a abusé. Parce qu’en politique, ce qui est vrai aujourd’hui peut être faux demain ; et Blaise Compaoré a trop surfé sur cette victoire de 2005.

Salif Diallo, directeur de campagne de Blaise Compaoré en 2005, 80% au premier tour ; Salif Diallo, directeur de campagne de Roch Marc Christian Kaboré en 2015 dans une élection serrée, 53% au premier tour, tout cela ne fait-il pas de vous un faiseur de rois ?

Non, pas du tout ; ce n’est pas moi en tant que tel qui ai élu ces deux présidents. Ce sont les populations du pays ; moi, je n’ai fait qu’aider, avec d’autres camarades, à la création d’un mécanisme de campagne. C’est tout.

Quels sont vos grands chantiers en tant que président de l’Assemblée nationale ?

Moi, je n’ai pas de chantier à titre personnel, en dehors du programme que le président élu a annoncé dans son livret. Pour ce qui nous concerne, il a, dans un premier temps, insisté sur la réforme des institutions et de l’administration. Donc, nous allons nous atteler à aller vers une réforme des institutions et aider à la réforme administrative pour un meilleur contrôle de l’action du gouvernement.

Vous avez été pendant longtemps le bras droit de Blaise Compaoré pour qui vous aviez une très grande dévotion, dit-on. Vous étiez pratiquement le N°2 de son régime. A partir de quel moment exactement vos relations avec lui ont commencé à se dégrader et pourquoi ?

Non, je pense que les gens font une mauvaise lecture des rapports humains. Moi, j’avais des rapports de camaraderie avec Blaise Compaoré. En 86, j’étais son chef de cabinet, on travaillait ensemble sur un certain nombre de dossiers et je travaillais avec Thomas Sankara aussi sur un certain nombre de dossiers. Et puis, il y a eu ce coup d’Etat condamnable qui est survenu contre Thomas Sankara. Et, malgré sa disparition, un certain nombre de camarades et moi nous avons décidé de continuer quand même à défendre une ligne progressiste pour notre peuple. On n’était pas subjectivement attachés à la personne de Blaise Compaoré. Et c’est ce qui m’a toujours permis de lui dire ce que je pensais en tout temps et à tout moment. Je me battais surtout pour ne pas être courtisan de Blaise Compaoré et je me suis toujours battu contre tous ceux-là qui avaient une vision courtisane du pouvoir. Et, je crois qu’étant ministre, à tous les postes où on m’a nommé, je lui ai toujours dit mes vérités. Bien sûr, ça m’a coûté des fois très cher. Mais il fallait, en tant que militant, le faire car j’étais avec lui sur une base militante. Moi, je n’étais pas avec Blaise Compaoré en tant que subordonné administratif, ou bien en tant que courtisan. Moi, je ne le voyais pas en « président-roi ». Je le voyais d’abord en président militant. Ce qu’il a dévoyé en cours de chemin.

Mais à partir de quand exactement ?

Il y a eu beaucoup de contradictions sur notre façon de voir les choses. D’abord, dès la création du CDP en 96, nous nous sommes battus, le camarade Roch et moi, plus d’autres camarades, pour que nous insufflions une ligne sociale démocrate. Blaise Compaoré a suivi cette option, parce que la majorité des camarades étaient pour celle-ci. Mais dans la pratique, au fil du temps, notamment, avec le PAS (Programme d’ajustement structurel, NDLR), les réformes du FMI et de la Banque mondiale, on est allé vers un néo-libéralisme qui ne dit pas son nom. Et pour tout régler, Blaise Compaoré a opté pour un clanisme, aussi bien au plan politique, qu’au plan économique. C’est là, personnellement, je lui ai toujours, même par écrit, fait des observations critiques là-dessus.

Et comment prenait-il ces observations ?

Bien sûr, il n’était pas d’accord avec moi sur beaucoup de points. Mais moi aussi, je faisais tout pour le lui dire chaque matin, que je n’étais pas d’accord. Il y a même des ministres qui, après certains conseils des ministres, me donnaient partant immédiatement, parce que même en Conseil des ministres, je faisais des observations. Et il avait cette expression qui consistait à dire que « Salif est un excité ». C’était sa formule pour répondre, mais moi je voyais qu’on allait déraper par rapport à nos options de départ.

Avec le recul, ne pensez-vous pas que Blaise Compaoré ne vous prenait pas trop au sérieux par rapport à vos critiques ?

Non, je crois qu’en tant que président, il avait plusieurs courants de pensées qui venaient vers lui. Et il a oublié carrément d’où nous sommes venus. Nous sommes quand même venus de groupes disparates qui étaient tous de tendances progressistes. Or lui, il marchait à reculons. Quand vous empruntez le car pour Dori et après vous vous retrouvez vers Houndé, vous ne pouvez que débarquer du car. C’est ce qui s’est passé. On avait opté d’aller ensemble à Dori et nous nous sommes retrouvés vers Houndé, sur la route de Bobo. Courageusement, il fallait débarquer, quel que soit le prix à payer.

A côte de Blaise Compaoré, il y avait le petit frère François Compaoré à propos de qui il se dit que vous aviez une inimitié à la limite viscérale. Ou peut-être l’inverse ! Quel était exactement le problème avec lui ?

Non, non ! C’est peut-être l’inverse qui est vrai. Je n’ai pas eu, je crois, de contacts vraiment assidus avec François Compaoré. Pour moi, c’était le petit frère du président, conseiller économique à la Présidence. Je n’avais vraiment pas affaire à lui. Mon rôle consistait à travailler politiquement avec Blaise Compaoré. Et je n’acceptais pas d’être un courtisan ou un « yes man », comme je l’avais déjà dit en son temps, ni de Blaise, ni de son frère. Pour moi, la gestion d’un pays ne se ramène pas à une gestion familiale. Je crois que j’étais l’un des rares ministres à qui François s’adressait le moins possible, parce qu’il connaissait mes positions de départ, je suppose.

Mais quel était votre problème avec lui concrètement ?

Je n’avais aucun problème avec lui, je ne le fréquentais pas. J’étais loin. Moi, je me battais pour des principes et contre une démarche qu’ils avaient. J’étais militant d’une cause et je défendais cette cause. Mais quand je voyais qu’il y avait des pratiques qui allaient à l’encontre de ma vision politique et idéologique, je m’exprimais, c’est ce qui s’est passé.

D’aucuns estiment que Salif Diallo est une bête politique. Vous reconnaissez-vous dans une telle qualification ?

Non ; ça c’est des déclarations sans fondement. Moi, je ne suis qu’un simple citoyen. J’ai toujours milité ; avant Blaise Compaoré et après Blaise Compaoré, j’ai toujours milité pour une vision que j’ai en moi depuis que je suis élève, étudiant et tout. J’ai ma vision idéologique des choses. Peut-être que je n’ai pas raison sur toute la ligne, mais ma vision est que dans un pays pauvre comme le Burkina Faso, il fallait s’appuyer, considérer, prendre en compte les aspirations du plus grand nombre. C’est ça ma vision de départ.

Suite à l’assassinat du journaliste Norbert Zongo en 1998, vous auriez demandé à Blaise Compaoré de livrer son petit frère, considéré comme commanditaire de cet assassinat. Est-ce vrai ou de simples rumeurs infondées ?

Vous savez, la mort de Norbert m’a beaucoup blessé à titre personnel, parce que Norbert était un ami à moi depuis que nous étions étudiants. Et moi-même, j’ai été renvoyé de l’université de Ouagadougou parce que j’avais entamé une grève pour défendre Norbert Zongo en son temps, qui était expulsé de Lomé. Quand il était arrivé sur le sol voltaïque à l’époque, les soirs, on était ensemble, on galérait ensemble si on peut le dire. Donc, c’était un ami personnel. Ensuite, quand je suis arrivé au ministère de l’Environnement, j’avoue que Norbert Zongo m’a aidé à définir une politique pour la faune, contre beaucoup de concessionnaires qui vraiment ne pensaient qu’à leurs poches. Donc, Norbert Zongo et moi, on avait des rapports humains très liés. On m’a même soupçonné, accusé même à l’époque, d’avoir donné la zone de chasse à Norbert Zongo, ce qui n’était pas vrai, parce que sa zone de chasse avait été donnée par un autre ministre, bien avant. Norbert Zongo et moi, on n’a fait que travailler à mettre en place un cahier des charges, pour que l’Etat burkinabè bénéficie des zones fauniques. Sa mort m’a beaucoup affecté à titre personnel. Mais au-delà de ça, j’ai exigé seulement que les coupables soient recherchés, retrouvés et punis. Certains sont allés dire à Blaise Compaoré que Salif Diallo demande qu’il arrête son frère. Je n’ai pas porté d’accusation contre qui que ce soit, j’ai seulement dit que les coupables devaient être punis. Ça c’est une position de principe.

Toujours est-il que quelques temps après, vous avez été éjecté du gouvernement…

Mon départ du gouvernement était lié à beaucoup de prises de positions de ma part sur beaucoup de questions. On était divergent idéologiquement, politiquement ; c’est à cette époque que je me suis rendu compte que Blaise Compaoré et moi, nous étions profondément divisés sur la vision idéologique et surtout politique, de comment mener le pays.

Plus tard, vous revenez au gouvernement avec un poste que d’aucuns ont jugé taillé sur mesure pour vous : ministre d’Etat, ministre de l’Agriculture, de l’Hydraulique et des Ressources halieutiques. Etait-ce la réconciliation entre vous et Blaise Compaoré ?

Non, en fait, j’ai été nommé à ce ministère, il faut dire la vérité, parce que des partenaires au développement ont dit à Blaise Compaoré que ma vision de l’agriculture et de la gestion de l’eau était conforme à leur vision. Et qu’ils étaient prêts à appuyer ce ministère-là si j’étais là-bas. Et Blaise Compaoré a cédé à leur proposition, moi-même je ne m’y attendais pas. Effectivement, quand j’y suis arrivé, le ministère a engrangé beaucoup de financements. Tant pour le secteur de l’agriculture que pour le secteur de l’eau. Et cela aussi a créé beaucoup de jalousie, où beaucoup de projets que j’ai initiés ont été sabotés (entre griffes), par certains dans l’entourage du président. Certains sont allés jusqu’à dire à Blaise Compaoré, si vous laissez Salif Diallo au ministère de l’agriculture, les paysans du Burkina vont en faire le prochain président. Parce que j’avais beaucoup travaillé à la base avec les paysans pour créer les chambres d’agriculture, les conseils villageois de développement, etc. Il y a des projets comme le PNGT (Programme national de gestion des terroirs, NDLR), qui allaient directement à l’endroit des populations et moi-même je m’y investissais. Je n’avais aucune intention d’être président un jour.

Mais finalement, ce n’est pas faux, puisqu’aujourd’hui, le monde paysan vous voue apparemment une certaine amitié…

Oui, mais je n’ai pas fait tout cela pour devenir président. Je l’ai fait juste pour aider les populations rurales, parce que c’était ma conviction que pour le développement dans ce pays où 80% de la population est rurale, il fallait commencer par eux ; leur donner le minimum de moyens pour vraiment booster l’économie nationale.

En 2008, après avoir conduit la campagne de Blaise Compaoré à la présidentielle de 2005, vous êtes encore congédié du gouvernement un jour de Pâques, au cours d’un remaniement où vous êtes le seul partant. Qu’est-ce qui s’était passé exactement en son temps ?

C’est parce qu’à l’époque, les débats étaient devenus très durs entre Blaise Compaoré et moi concernant la suite des évènements. A l’époque déjà, ils avaient créé la FEDAP-BC (Fédération associative pour la paix avec Blaise Compaoré, NDLR). Je m’étais opposé catégoriquement à la FEDAP-BC. Même des camarades qui sont avec moi aujourd’hui m’ont dit : Salif, il faut faire semblant. On a organisé une rencontre entre le CDP et la FEDAP-BC, je devais faire partie de la délégation du CDP, mais j’ai refusé de m’asseoir à la même table que la FEDAP-BC ; parce que pour moi, c’était le début de la déviation totale, vers le clanisme et la patrimonialisation. Et j’ai refusé systématiquement d’aller à cette rencontre. Et Blaise Compaoré m’a interpellé. J’ai dit que je ne peux pas accepter qu’un groupe de cette nature-là, soit créé, d’abord à l’insu du président du parti, à l’époque Roch Kaboré, qui n’a pas su comment on a créé la FEDAP-BC ! Nous n’avons pas été saisis, nous n’avons pas été invités. Et j’avais compris tout de suite que ce groupe avait été créé contre le CDP de l’époque, contre nous, par quelqu’un qui voulait coûte que coûte se passer du parti. J’ai donc exprimé à Blaise Compaoré mon désaveu sur cette initiative.

Et c’est donc pour cela que vous avez été débarqué un soir de Pâques ?

Je ne sais pas s’il y a d’autres motifs mais c’est ça le motif qui paraissait évident

A vous entendre, vous n’hésitiez pas à défier Blaise Compaoré. Or, à ce qu’on dit, l’homme n’aimait pas être défié. Tous ceux qui l’osaient le payaient très chèrement, souvent même au prix de leur vie, dit-on. Comment avez-vous survécu à tout cela ?

Non, je ne pense pas que je le défiais. Je pensais que c’était de mon devoir de lui dire mes convictions et ma pensée…

Mais d’autres auraient essayé mais mal leur en aurait pris…

Non, ça dépend, moi, j’étais sincère dans mon propos, Blaise Compaoré savait que je lui disais franchement mes points de vue. Peut-être que moi aussi j’ai été victime de beaucoup de choses que vous ignorez.

Parlez-nous en donc

Non, je pense que l’histoire retiendra, l’histoire reviendra. Ce n’est pas à moi de vous le dire.

Parlant de Blaise Compaoré, avez-vous ses nouvelles depuis ? Vous parlez-vous de temps en temps ?

Non, je n’ai pas de nouvelle de Blaise Compaoré…

Depuis … quand ?

Vous savez, je ne suis pas un masochiste jusqu’au point de vouloir parler à ceux qui ont programmé ma mort. Vraiment, je crois que trop c’est trop, ça suffit.

Est-ce à dire que vous avez tiré un trait définitivement sur lui ?

J’étais avec lui sur des convictions politiques. Il est parti, il est de l’autre côté maintenant, donc moi j’ai arrêté, c’est fini. Ce n’est pas une relation charnelle.

Continuons de suivre votre parcours : vous êtes par la suite envoyé en Autriche comme ambassadeur et puis vous avez pratiquement forcé votre retour au bercail, après avoir accordé une interview à notre confrère L’Observateur Paalga. Interview dans laquelle vous dénonciez vertement la « patrimonialisation » du pouvoir. Quel était votre plan derrière une telle interview ?

Non, non, d’abord, avant de partir, avant même de quitter Ouagadougou, c’était mon point de vue et le Président Compaoré le savait très bien et bien d’autres aussi le savaient. En réunion, je ne manquais pas de soulever cette affaire de patrimonialisation et la façon dont le parti était traité. Je me suis donc toujours pourfendu contre cette méthode. On m’a donc affecté à Vienne, croyant m’éloigner du territoire national pour que ma parole ne soit pas sur la place publique nationale. Ils ont oublié que j’étais un homme libre et je pouvais parler sur les médias internationaux, ou bien même sur les médias locaux. Ce que j’ai fait, je n’ai fait que répéter ce que je pensais et disais avant de partir. Et si c’était ça qui m’a coûté mon poste, tant mieux, parce que quand je suis rentré de Vienne, je n’ai pas fait de grincement de dents. Pour moi, c’était logique, j’ai assumé ce qui m’arrivait…

Mais en tant qu’ambassadeur, vous saviez bien que vous étiez soumis à un devoir de réserve et que parler de cette façon-là allait coûter à votre poste d’ambassadeur…

Non, le devoir de réserve ne concernait pas les affaires intérieures. Le devoir de réserve ce n’est pas avaler les couleuvres et les caïmans quand on n’est pas d’accord. Comme je vous le disais tantôt, ces points de vue, je les avais ici avant d’aller. Moi, je n’ai pas été ambassadeur dans le sens de « mange et tais-toi » ! J’ai refusé ça. C’est pour cela que mon départ de Vienne même était une bonne chose.

En son temps, certains de vos camarades avec qui vous êtes aujourd’hui, notamment Roch Marc Christian Kaboré, s’étaient démarqués de vous et vous traitaient même de « héros solitaire ». Comment vous êtes-vous retrouvés malgré tout ?

Non, écoutez ! Sur les fondamentaux, Roch Kaboré et moi nous étions sur la même ligne. Maintenant, sur les méthodes d’approche, on différait. Parce que depuis 2005, Roch et moi nous avons convenu que la situation était au dérapage et sur beaucoup de points on était ensemble. Maintenant, Blaise Compaoré a voulu utiliser Roch, parce qu’il était président du parti et président de l’Assemblée, pour essayer de m’écraser mais en fait, il s’est trompé lourdement. Sur les fondements, j’avais plus d’atomes crochus avec Roch Kaboré qu’avec Blaise Compaoré, qui pensait se jouer de nous. En fait, c’est l’arroseur arrosé.

Est-ce à dire que ce qui est arrivé le 4 janvier 2014 était un projet de longue date ?

Un projet c’est trop dire. Nous étions sur les mêmes fondamentaux idéologiques et politiques.

Au congrès de 2012, vous revenez, vous vouliez reprendre la direction du parti contrairement à ce que Blaise Compaoré voulait…

Non ! Ce sont des rumeurs. Moi, en 2012, on m’a prié effectivement de revenir pour prendre la direction du parti. J’ai dit non. J’ai décliné cette offre contrairement à ce que les gens disent. J’ai décliné cette offre devant Blaise Compaoré et je lui ai dit que la seule condition pour que moi je revienne, même à la direction du parti, c’était qu’on revoie, et la ligne du parti et les méthodes de travail. Concrètement, je me suis élevé contre le fait qu’on ait amené des gens qui n’ont jamais fait un seul jour de militantisme. Ils ont traversé toutes les structures du parti et aller jusqu’au bureau exécutif. Or, nos statuts recommandaient qu’il faille faire trois ans de militantisme avant d’être au BPN même. Et brusquement, on voit des gens que nous n’avons jamais vus, même dans nos structures de base, aller jusqu’au sommet du parti. Je dis non.

Vous voulez parler de qui ?

Je ne parle pas des gens. Un tel parti, je ne peux pas. C’est ça même la patrimonialisation. Ça veut dire que Blaise Compaoré et son clan avaient fait du parti une affaire privée.

A ce congrès, on a supprimé la présidence, créé un secrétariat exécutif, le directeur de cabinet de Blaise Compaoré devient le secrétaire exécutif, son frère entre dans ce secrétariat exécutif…

Je ne sais pas, mais toujours est-il que, au congrès de 2012, j’ai décliné toute participation à ce bureau à ce parti. Je ne me considérais même plus sur la même ligne que ces gens pour être dans leur parti.

La rumeur dit même qu’il n’y a jamais eu d’élections dans un congrès du CDP et que les bureaux ont toujours été concoctés ailleurs et imposés aux militants. Qu’est-ce qui se passait exactement ?

Non, il y en a eu quand même ! Au moment où le Président Roch Kaboré était là, il y a eu des cooptations, c’est vrai, mais il y a eu aussi des élections à des moments donnés, à l’intérieur de nos structures.

Vous vous retrouvez, Roch, Simon et vous en janvier 2014, en tête de nombreux autres cadres du parti pour démissionner. Comment tout ça s’est passé ? Comment s’est fait le ralliement, surtout que vous n’étiez pas sur les mêmes longueurs d’ondes apparemment ?


Apparemment vous dites ! Comme je le disais, depuis 2005, le Président Roch Kaboré et moi nous discutions politique.

Simon Compaoré aussi ?

Simon Compaoré aussi. Nous discutions, nous échangions sur ce qui n’était pas dans notre option idéologique politique.

Donc vous avez fabriqué un bébé dans le dos de Blaise Compaoré ?

Non ! C’est Blaise Compaoré qui a fabriqué des bébés dans notre dos. Et il nous a fait avaler tellement de couleuvres que quand il s’est agi d’avaler des caïmans, nous avons dit non.


Quand vous partiez, il (Blaise Compaoré) a dit que vous n’étiez que des seconds couteaux qu’il a pratiquement fabriqués.

Oui, mais comme le Président Roch aime à le dire, nous nous sommes auto-fabriqués. Nous aussi nous l’avons fabriqué quelque part comme on le dit.

Pour revenir à votre présidence de l’Assemblée, d’aucuns pensent que vous êtes à ce poste pour juste avoir une immunité qui vous permet de vous prémunir d’un certain nombre de dossiers dans lesquels votre nom revient, notamment Dabo Boukary, Thomas Sankara. Qu’en est-il exactement ?

Non, je crois que ça c’est de la médisance. Je suis un justiciable comme tous les autres Burkinabè. S’il y a un dossier me concernant, le juge m’entend. Dans le cas Dabo Boukary, je me suis expliqué plusieurs fois et c’est moi-même qui suis parti devant le juge. Le juge ne m’a pas convoqué. Comme beaucoup de chapelles politiques clandestines qui passaient le temps à remuer cette affaire qui est une fausse affaire pour moi, je suis allé donner ma version au juge, avec les preuves et tout. Et j’ai même souhaité que ce dossier soit jugé le plus rapidement possible.

Et le dossier Thomas Sankara ?

Quant au dossier Thomas Sankara, c’est pareil. Moi, je n’étais que chef de cabinet de Blaise Compaoré. Le jour du coup d’Etat effectivement, j’étais assis avec lui, parce que je devais être à la réunion de 16 heures. Et je suis parti chez Blaise Compaoré pour prendre un document sur ordre de Thomas Sankara. C’est ce que les gens ne savent pas. C’est ce qui s’est passé. Après, j’ai été entouré par des militaires et moi aussi, en fait, je devais être une des victimes, parce que je devais être à la réunion avec mon ami Kiemdé Frédéric. Je m’apprêtais à monter en voiture quand le Président Thomas Sankara m’a fait appeler pour envoyer récupérer le document chez Blaise Compaoré. Donc, je n’ai rien à me reprocher pour ce qui est arrivé au Conseil de l’Entente.

Mais Salif Diallo président de l’Assemblée nationale aujourd’hui ne peut pas être entendu par un juge…

Pourquoi pas ?

Si aujourd’hui, un juge manifeste son intérêt de vous entendre seriez vous prêt ?

S’il y a un dossier, n’importe quel dossier me concernant, je lève mon immunité moi-même, si on veut, et puis on m’entend. Mais je dis que si les juges ne m’ont pas convoqué depuis des années, c’est qu’ils savent que je n’y suis pour rien. Mais oui ! Pourquoi voulez-vous incriminer quelqu’un parce qu’il est à un poste de responsabilité ? Ça, c’est de la médisance, ce sont des mesquineries locales.

Maintenant que vous êtes aux affaires, qu’est-ce que vous comptez faire de nouveau pour marquer la rupture d’avec l’ère Blaise Compaoré ?

Je vous ai dit que le Président Roch Kaboré a un programme, que vous avez certainement lu. Il va le mettre en œuvre. Vous verrez qu’entre son programme, sa mise en œuvre et la gestion de Blaise Compaoré, il y a une différence fondamentale. Ce n’est pas une question d’homme, c’est une question d’abord de vision et de démarche politique.

Justement, certains disent que ce qui a été vu sous Blaise Compaoré c’est ce que Salif Diallo, Simon Compaoré et Roch Kaboré ont fait. Ce ne sera donc pas nouveau…

Ce n’est pas nous qui avons fait. Nous étions dans un parti où il y avait deux lignes. Les conservateurs, si je peux les qualifier ainsi, et ceux qui défendaient une ligne progressiste et de démocratie. Nous n’avions pas les rênes mais il faut reconnaître que dans ce que nous avons fait sous Blaise Compaoré, tout n’est pas négatif. Il faut le dire. Moi personnellement, je me suis investi dans toutes les tâches du développement qu’on m’a confiées. C’est pour dire que sur ce point-là, que ce soit Simon Compaoré, il a travaillé comme maire de Ouagadougou. Il faut lui reconnaître du mérite. Si le Président Roch Kaboré, n’avait pas été là en 1998, ce pays allait aller à l’affrontement, peut-être à la guerre civile. Il a usé de ces relations, de beaucoup de diplomatie pour ramener le calme dans ce pays. Mais ce n’est pas lui qui avait le bâton de commandement. Donc les gens nous font des faux procès. Ce n’est pas une question de personne, il faut éviter de subjectiviser à chaque fois le débat politique. Et puis, ceux qui se disent hommes nouveaux ne sont pas si nouveaux que ça hein ! Nous le savons très bien.

Pour pouvoir avoir la majorité à l’Assemblée nationale, vous avez dû recourir à des alliances avec d’autres formations politiques. Quels sont les accords qui ont prévalu à ces alliances ?

Je pense que dans ma première conférence de presse, j’ai défini notre vision. Nous avons fait une alliance sur des bases d’abord idéologiques et politiques. C’est-à-dire, nous avons campé nos positions, nous nous sommes délimités sur tous ceux qui avaient une tendance progressiste dans leur vision, dans leur démarche programmatique. Nous n’avons pas appelé les partis politiques à tous vents, nous avons une vision et c’est sur cette base que nous avons créé une première alliance de partis qui ont soutenu le candidat. Ensuite, nous avons approché l’UNIR/PS parce que nous croyions que sur des fondamentaux idéologiques, nous sommes du même tronc idéologique, progressiste. C’est qu’on peut faire des choses ensemble ; donc il n’y a pas de mystère autour de ces alliances.

Y’a pas de promesses de partage de gâteau ?

Non ! Si c’était cela, on allait appeler tous les partis politiques et puis on aura la paix, non. Ce n’est pas un partage de gâteau. C’est à la tâche que vous comprendriez que ce n’est pas un partage de gâteaux. Maintenant, que ces partis politiques soient appelés au gouvernement ou à d’autres postes, c’est pour exécuter le programme de notre président, c’est pour exécuter, sur la base idéologique, des visions programmatiques de notre président.

Vous héritez d’une transition politique qui laisse un certain nombre de dossiers assez sensibles, notamment en Justice. Avez-vous le sentiment que ce sont des patates chaudes qu’on vous refile ?

Non, je pense que l’Etat est une continuité et il faut que ces dossiers poursuivent leur déroulement. Il n’y a pas à refiler ou pas. Personne n’a pensé que le Burkina allait connaître cette insurrection, qu’il allait avoir une transition dirigée par x ou y. Je pense que l’Etat est une continuité et les dossiers doivent suivre leur cours.

Le Président Kaboré, dans ses premières interventions, à parler de tolérance zéro vis-à-vis de la corruption. Pensez-vous avoir les moyens de combattre le système prédateur que vous-mêmes avez contribué à construire ?

D’abord, la lutte contre la corruption, c’est deux aspects : la volonté politique d’abord. Tant qu’il n’y a pas de volonté politique, le combat de la corruption ne va pas aboutir. Deuxièmement, il faut effectivement punir les actes de corruption. Tant qu’on va caresser les gens dans le sens du poil, ils continueront. Il faut des sanctions et des sanctions sévères. Nous sommes une économie très fragile et plus de 80% de nos ressources viennent des partenaires au développement. Les gens ne peuvent pas prendre l’argent de leurs contribuables pour enrichir une minorité dans un pays. Il faut qu’on comprenne ça. Et nous avons intérêt, tous, à ce que ce pays-là devienne le moins corrompu possible, aussi bien au niveau des tenants du pouvoir que de la base.

Un coup d’Etat a failli compromettre l’issue de la Transition courant le mois de septembre dernier. Comment avez-vous vécu les événements liés à ce coup d’Etat ?

Eh bèh, vous êtes assis sur les ruines de ma maison. J’ai failli, comme vous le savez, passer l’arme à gauche. On a attaqué ma maison, elle est toujours en ruines, vous pouvez le constater. C’était un assassinat programmé sur ma personne. Donc, comme beaucoup de Burkinabè, moi, j’ai eu la chance de survivre mais il faut déplorer ces jeunes gens qui n’ont, peut-être, rien à voir avec la politique et qui sont morts, vraiment à un âge où ils pouvaient rêver d’apporter quelque chose à notre peuple. C’est ça qui est déplorable. Pour s’accaparer du pouvoir d’Etat à des fins inavouables, on a massacré des jeunes gens.

Vous connaissez bien Diendéré. Est-ce que vous aviez pensé, un seul instant, qu’il pouvait faire un tel coup d’Etat ?

Dès l’insurrection populaire, on savait que le clan Blaise Compaoré avait toujours des tentacules dans le pays et qu’il allait encore essayer de reprendre du pouvoir. Ça c’est une analyse politique et ça se voyait venir. Maintenant, la forme matérielle que cela allait prendre, on ne pouvait pas le savoir puisque c’est un complot.

Mais d’aucuns disent que c’est le coup d’Etat le plus bête, parce qu’il n’avait aucune chance d’aboutir…

Non, ceux qui ont fait le complot pensaient qu’ils avaient réussi. Dès les premiers instants, pour eux, on a tué une dizaine de jeunes gens, tout le monde allait paniquer et rentrer dans les rangs. Malheureusement, notre peuple a une autre conscience de ce qui se fait dans ce pays aujourd’hui.

Justement, qu’est-ce que vous pensez du peuple burkinabè en 2016 ?

Non, je pense qu’avant même 2016, nous avons un peuple héroïque qui est patient et il ne faut jamais abuser de sa patience. Cette insurrection, personnellement, je l’avais prévue bien avant 2009. Parce qu’au-delà des formations formelles de la République, il y a quand même le peuple, organisé ou pas, qui avait ses aspirations, ses revendications et qui n’était pas écouté ; donc ce qui devait arriver est arrivé.

Suite au coup d’Etat, il y a eu ces écoutes où le président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire entend notamment régler ses comptes avec certaines personnes dont vous. Comment avez-vous accueilli ces écoutes ?

Je n’ai pas écouté.

Vous n’avez rien entendu ?

Je n’ai pas écouté.

Il dit qu’il veut personnellement régler votre cas ?

Je n’ai pas écouté.

Le connaissez-vous, Guillaume Soro ?

Je crois oui, comme toute l’Afrique de l’Ouest. Il est le président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire.

Justement, il y a une série de personnalités au sujet de qui nous allons demander votre opinion…

Je n’aime pas beaucoup des individus. Il faut laisser tomber.

Juste un mot concernant ces personnes, Blaise Compaoré, par exemple ?

Je n’aime pas parler des individus.

Ok, à quand la retraite pour des dinosaures politiques comme vous autres ?

Bientôt, parce que nous sommes plus sur la sortie que sur le point d’entrée. Tant qu’on peut aujourd’hui léguer à la jeune génération des acquis, nous sommes prêts à partir. Je ne suis pas si vieux que ça mais je pense qu’il est temps pour moi, quand même, de trouver une retraite quelque part, dans le Nord, pour cultiver les patates.

Quels sont vos vœux pour le Burkina Faso en 2016 ?

Je pense qu’en 2016, le Burkina Faso devrait être un pays de stabilité, de reconstruction et de réconciliation. Je crois qu’il est important que les fils de ce pays-là, se retrouvent sur des valeurs fondamentales que sont l’intégrité, le progrès social partagé ; c’est important que l’égalité des chances pour tous les fils et filles de ce pays soit restaurée.

Que souhaitez-vous ajouter pour conclure cet entretien ?

Je vous salue.

Interview réalisée par Ladji BAMA, Aimé NABALOUM et Boureima OUEDRAOGO


Lien original : http://www.reporterbf.net/index.php/trajectoire/item/815-salif-diallo-president-de-l-assemblee-nationale